Le yoga peut-il agir sur les douleurs chroniques?

Qu’est-ce que la douleur ?

L’OMS définit la douleur comme étant «(…) une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes"

La douleur est avant tout un mécanisme utile et positif, qui nous renseigne sur l’environnement avec lequel nous interagissons, et qui nous protège. Il nous empêche de poser la main sur une plaque brûlante, de reconnaître une appendicite ou encore une fracture à la suite d’une chute. Selon l’OMS la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle avant tout, c’est donc un système physiologique d’alarme pour nous protéger, mais qui peut être pathologique quand elle est non adaptée ou disproportionnée et quand elle passe à la chronicité. 

Encore faut-il distinguer douleur aiguë et douleur chronique. La première étant plus facile à traiter en médecine que cette dernière. La douleur chronique s’inscrit dans le temps avec des phases douloureuses plus aiguës mais avec la présence constante dont la variabilité et l’intensité changent. Toute douleur persistante au-delà de 3 à 6 mois est qualifiée de douleur chronique. Cette douleur, à la longue, conduit à une autre forme de souffrance morale, émotionnelle, et sociale avec souvent une incapacité de travailler et des conséquences invalidantes pour mener une vie sociale et familiale épanouie. On parle alors de « total pain », douleur totale. Elle s’accompagne souvent d’irritabilité, dépression, sentiment d’abandon, perte de confiance en soi et en son corps et ses capacités, culpabilités, désespoir et désarroi. La prise en charge médicale est souvent multimodale et pluridisciplinaire. Elle englobe médecine conventionnelle et complémentaire, avec prise de médicaments allant des antalgiques, anti-inflammatoire, aux opioïdes, antidépresseur, antiépileptique, parfois avec intervention chirurgical concluant ou non, psychothérapie, physiothérapie, l’utilisation du TENS et toute une panoplie de thérapie complémentaire comme l’ergothérapie, acuponcture, phytothérapie…   

A cela se rajoute le caractère souvent invisible de la douleur et non objectivé par la médecine comme la fibromyalgie ou encore d’autres douleurs liées à un dysfonctionnement des systèmes de contrôle de la douleur. L’entourage ne voyant pas la douleur, ne comprend souvent pas la personne souffrante. Or, la douleur est bien réelle et pas « dans la tête ».  Elle relève d’un système complexe avec plusieurs étages de douleurs et souffrances d’origines diverses qui se croisent et s’influencent mutuellement. 

 

La douleur peut avoir plusieurs origines, distinctes ou cumulées : Nociceptive, neuropathique, ou lié au système nerveux central qui relaie incorrectement les informations au cerveau. 

 

La douleur nociceptive concerne le récepteur de la douleur qui transporte l’information douloureuse à la moelle épinière. Cette douleur est souvent liée à une lésion dû à un traumatisme ou une inflammation.

 

La douleur neuropathique caractérise les lésions des nerfs du système nerveux périphérique et central. (Le SNP regroupe les nerfs moteurs, sensitifs et ceux qui commandent les organes. Le SNC regroupe le cerveau, cervelet, tronc cérébral et la moelle épinière). 

Les conséquences sont souvent invalidantes, néfaste même et réduisent considérablement la qualité de vie de la personne souffrante. Elles s’accompagnent souvent de dépression, arrêt de travail, invalidité, vie sociale et affective affectée.

 

Quelle est la voie de la douleur ? 

On pince le doigt dans une porte. Le message douloureux par du doigt jusqu’au cerveau. Ce passage emprunte 3 voies, ou plus spécifiquement est relayé par 3 neurones à 3 niveaux différents : 1. du récepteur de la douleur (nocicepteur) à la moelle épinière, 2. de la moelle épinière au centre du cerveau où est situé le thalamus, et 3. du thalamus au cortex. Le cortex interprète les informations comme étant douloureux.

 

Les voies de la douleur 

 

Nous verrons ultérieurement comment la pratique du yoga intervient à chacun des niveaux pour diminuer le ressenti douloureux.

 

En même temps que le corps transmet ces messages de douleur au cerveau, le cerveau descend des informations pour bloquer l’influx douloureux. Le corps possède 3 systèmes endogènes pour se protéger contre la douleur.

 

Les 3 systèmes inhibiteurs de la douleur :

Le premier se situe au niveau de la moelle épinière, le deuxième au niveau du tronc cérébral et le troisième au niveau du thalamus.

Le 1e système est « Le gate contrôle » au niveau médullaire (moelle épinière). Il est sensible au toucher et a été découvert par Wall et Melzack en 1965. 

Quand vous vous cognez le bras, la douleur monte au cerveau. Vous avez mal. Mais si vous frottez le bras immédiatement, vous ressentez moins la douleur que si vous ne faites rien. Cela s’explique de la manière suivante :

Le frottement suit une voie plus rapide que la douleur. Les fibres du tact transportent un message plus rapidement au cerveau que la douleur, et renvoie du cerveau un message de sensation tactile qui bloque la douleur au niveau de la moelle épinière. Le ressenti de la douleur est moindre. Il en est de même pour les fibres proprioceptives transportant un message de mouvement et de positionnement dans l’espace. 

Le 2ème système inhibiteur de la douleur s’appelle le « contrôle inhibiteur descendante » et se situe au niveau du tronc cérébral : 

Le cerveau libère des neuromédiateurs. C’est la réponse descendante du cerveau vers la périphérie : du cortex -> thalamus -> tronc cérébral -> vers la périphérie. Le cerveau libère des secrétions noradrénergiques, sérotoninergiques, et des endorphines naturelles proche de la morphine. Ces substances bloquent partiellement l’influx douloureux au niveau médullaire et centrale.

Il y a aussi le « contrôle inhibiteur diffus » qui est un frein endocrinien sensible au stress. En résumé, une douleur bloque une autre douleur. Le cerveau libère des endorphines et interneurones pour bloquer la douleur. 

Le 3ème système inhibiteur de la douleur se trouve au niveau du thalamus qui agit comme centre de tri. Situé au centre du cerveau et près du siège émotionnel et de la mémoire, il trie les informations douloureuses en fonction du vécu, de la mémoire (de la douleur), des émotions et de l’histoire de la personne. Une personne épanouie et amoureuse ressentirait moins une piqure d’abeille qu’une personne venant de perdre son emploi ou son conjoint.  

La yoga thérapie renforce ces trois systèmes endogènes de protection contre la douleur.

 

Qu’est-ce que le yoga thérapeutique ou le yoga « adapté » 

C’est un ensemble d’outils adaptés aux besoins spécifiques de la personne, prenant en considération la personne dans sa globalité avec ses expériences de vie, de douleurs, son hygiène de vie, son alimentation, ses rythmes de veille / sommeil, son vécu social, familiale et professionnel. Cette approche met la personne au centre du traitement.

Les outils adoptés sont issus du yoga classique et comportent un ensemble de postures, d’exercices de respiration, de relaxations, de visualisations et de méditations.  Ils incluent des éléments empruntés des thérapies comportementales cognitives et émotionnelles. La yoga thérapie suit la philosophie du yoga tel stipulé dans les textes anciens comme les Yoga Sutras de Patanjali ou le Hatha Yoga Pradipika. Elle introduit également la nutrition et micro-nutrition ainsi que la phytothérapie.

 

On dirait une formule magique, ce qu’elle n’est pas. Car cette approche ne fonctionne qu’avec l’engagement motivé participatif de l’interlocuteur. Il a un rôle majeur à jouer dans la prise en charge de la douleur.  Il doit activement participer à l’apprentissage et à l’application des outils pour apprivoiser son corps et calmer la douleur. Il est acteur et non spectateur. Il aura des exercices à faire quotidiennement d’une durée de 20 minutes entre chaque consultation. Les résultats obtenus sont proportionnels au temps passé à les faire. Il faut minimum 3h par semaine, soit 20 minutes par jour pour sentir une amélioration. C’est la régularité des exercices qui est porteur de fruit dans la gestion de la douleur. 

Ensemble avec la médecine conventionnelle et les thérapies complémentaires la personne aura sa boîte à outils pour mieux vivre avec cette maladie.

 

Comment le yoga agit-il sur la douleur ?

L’approche holistique du yoga apporte une solution globale et efficace. Il intervient à tous les niveaux de la douleur et renforce les 3 systèmes d’inhibition. La pratique du yoga permet de lutter contre l’inflammation, favorise la sécrétion de neuromédiateurs clés dans la gestion de la douleur, améliore le sommeil souvent perturbé par la douleur, et renforce le reconditionnement à l’effort. 

 

1.     Le yoga agit au niveau des nocicepteurs au niveau local, à travers des étirements musculo-capsulaires ; à travers des mouvements lents et doux synchronisés avec la respiration ; à travers l’action sur les ganglions rachidiens.  

2.     Le yoga intervient au niveau de la moelle épinière à travers la proprioception, et agit ainsi sur le gate control et module la douleur. 

3.     Le yoga a une action au niveau du tronc cérébral. Il agit directement sur le système d’éveil et sommeil. Il améliore non seulement la qualité du sommeil mais agit aussi sur l’état de vigilance en équilibrant le système sympathique et parasympathique du système nerveux autonome. Il renforce le système endogène de modulation de la douleur en favorisant la libération de neuromédiateurs.

4.     Le yoga agit sur l’activité du thalamus par le biais du ressenti conscient et émotionnel, ainsi que sur la mémoire. Centre de tri, il colore la douleur en la majorant ou en la diminuant.

5.     A travers le mouvement en soi et des visualisations du mouvement en cas d’immobilité, le yoga agit au niveau du cortex.

 

Dalia Knight